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Notre ‘aiga était le premier à Malaefou à avoir la télé, même si elle n’était qu’en noir et blanc, et que la plupart des gamins disaient que ça ne comptait pas et que Mu’s ‘aiga était en réalité le seul à en avoir une depuis qu’ils l’avaient eu en couleur et en plus net, et plus grande, bien plus grande que les nôtres.
Notre télé venait de Nouvelle-Zélande, nous l’avions eu par le fils du frère de la grand-mère, Masapati, qui l’avait eu d’une famille américaine qui habitait là-bas en Nouvelle-Zélande. Notre famille a cru bon de nous envoyer la télé à Samoa… à Malaefou.
Cette semaine là, avant que la télé n’arrive, tout le monde voulait être nos amis.
Fiafia et Faanoana — des jumelles qui étaient plus âgées que moi de six mois, qui ne m’avaient jamais vraiment parlé, mais qui me taquinaient car j’amenais des restes à l’école et que je portais des petites culottes avec des élastiques en pneu Dunlop et que j’avais fait pipi au lit jusqu’à l’âge de neuf ans – m’adressaient soudain de grands sourires à chaque fois que nous nous croisions. Le genre de sourire que vous adresse le Père Noël dans les magasins à l’époque de Noël, ou encore celui que l’on peut voir sur le côté des emballages de dentifrice. Elles m’offraient un taille-crayon pour redonner vie à la mine de mon crayon. Elle me proposaient de me peigner et de me sculpter les cheveux dans un style qu’elles savaient que je ne connaissais pas. Elles disaient ‘ku-lou’ à chaque fois qu’elles passaient devant moi — et ceci bien qu’elles soient plus vieilles. Elles me disaient leur secret le plus secret - qu’elles volaient de cigarettes à Leaga, leur père, qui ne les a jamais suspectées et qui frappaient Epenesa, leur frère aîné, pour l’en punir; qu’elles avaient triché lors de la Finale de l’école du dimanche ; qu’elles avaient vu Donna la fa’afafige « le faire » à Leauvaa qui est supposé être malade des filles.
En plus, elles m’ont invitée à dormir chez elles un soir et m’ont offert leurs draps les plus propres et les plus jolis ainsi que le plus gros oreiller avec une taie portant l’inscription « Jésus est la Raison ». J’ai aussi pu utiliser le savon Palmolive en premier, avant qu’elles ne se lavent les cheveux. C’était un luxe, car ma famille ne se lavait qu’à la lessive Fasimoli Ka Mea.
Leur mère me demanda ce soir-là si je pouvais demander à Pisa d’envoyer quelqu’un lorsque L’île fantastique commencerait. Je lui ai dit que je le ferai et que je viendrai en courant et en personne, et qu’elle devrait aussi rester pour Des jours et des vies.
« Ils dévoilent Roman ce soir ! »
Elle me dit qu’elle resterait et que j’étais une gentille fille, un bon exemple pour ses filles. Mais elle m’a aussi dit que je devrais essayer de m’éloigner de cette Lili.
« Elle est trop vieille pour traîner avec vous, vous ne trouvez pas? Tu peux rester dormir quand tu veux… du moment que ton père le permet. »
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Tout le monde était trop excité le soir où la télé est arrivée. Nous connaissions tous son histoire avant même que nous l’ayons vue : c’était la télé américaine achetée à un couple de Misipaki et qui arrivait ici pour contribuer à l’histoire de Malaefou. Avant que la télé n’arrive, les enfants avaient déjà choisi les programmes qu’ils voulaient voir :
Charlie et ses drôles de dames;
Super Jaimie;
Star Trek;
Les grands moments du catch.
Les plus âgés disaient déjà que tous ceux qui avaient école le lendemain devaient aller au lit lorsque la Croisière s’amuse commencerait, ce qui nous convenait à tous. Qui voulait voir ce capitaine chauve commander un bateau rempli de crétins de toute façon?
Cette nuit là, après le repas du soir (qui fut pris tôt et rapidement), tout le monde s’est précipité devant la maison. Les enfants se battaient et se tiraient les cheveux – et encore plus de cheveux – pour en arriver à être le plus proche possible de la télé.
« Vous devriez tous vous reculer », dit Asu, le frère de mon père, qui pense qu’il possède tout dans la maison… bien qu’il soit au chômage, qu’il ne soit jamais allé à l’école, qu’il n’ait pas d’enfants à lui (qui voudrait se marier avec lui?), qu’il soit gros, qu’il ait une grosse voix, et qu’il nous commande tel un chien commande des chats.
« Pas trop près ou vous allez finir aveugle ! Personne ne touche à la télé, compris ? Personne. Je surprends un seul de vous à toucher la télé et je l’enveloppe dans ses draps et je le balance dans le pipi. C’est compris ? »
Nous fîmes « oui » de la tête, trop excités pour écouter. Nous voulions juste voir les images qui bougent. Après que Asu ait fini de nous expliquer les règles de la télé, il l’a brancha et l’alluma. Rien ne vint. Il retira la prise et réessaya mais toujours rien. « Où sont les images? » avons nous tous demandé. « Où sont les images? »
Faleniu, notre voisin, qui travaille pour les services publics à Apia, s’approcha de la télé et parla à Asu.
« Cette télé ne marchera pas sans une antenne ou un transformateur. »
« Qu’est-ce que c’est que ça ? »
Alors que Faleniu expliquait à Asu et à tous les garçons et les hommes de Fale qui s’étaient rapprochés de la télé ce qu’était un transformateur et pourquoi les trucs américains ne marchaient pas ici, à Malaefou, nous entendîmes les femmes de la maison crier (mi-contrariées, mi-embarrassées).
« Saleté de Néo-zélandais ! »
« Saleté de Misipaki! »
« Passez le au four! »
« Passez les tous au four! »
« Merde! Merde! Merde ! »
Les enfants du village se mirent à pleurer.
« La télé est cassée ! »
« Votre famille en Nouvelle-Zélande n’est pas assez riche pour vous envoyer une télé qui fonctionne ! »
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Trois mois plus tard, Filiga trouva une antenne et un transformateur. Mr. Brown retournait vers son Australie d’origine et voulait vendre son antenne et son transformateur pour 250 tala. Filiga emprunta l’argent au travail, ce qui voulait dire que nous devrions amener nos restes à l’école…jusqu’à la fin des temps.
L’antenne et le transformateur en question, envoyés par la famille de Nouvelle-Zélande, furent récupérés plus tard, (plus tard, bien plus tard) à la maison de Valu.
Valu était l’inspecteur des douanes et avait confisqué un réfrigérateur des îles Samoa Américaines qu’il utilisait pour faire de la glace entre autres choses.
Ça faisait des mois que ‘AIGA-FILIGA était marqué en grande lettres capitales rouges.
Eseese, la secrétaire, le remarqua et le signala aux hommes de notre famille, mais seulement après que Valu lui ait dit qu’il aimait sa femme et qu’il retournait avec elle. Les hommes de notre famille s’approchèrent de Valu avec les poings fermes et menaçants, des menaces et tout ce qui s’en suit. Ainsi, Valu leur offrit un jambon, deux canettes de pisupo, et un parapluie pour la vieille dame.
« Ne refaites jamais ça ! Compris ? Jamais ! »
Et ceci, après que bien des courriers furent échangés entre la Nouvelle-Zélande et Samoa.
La famille en Nouvelle-Zélande a écrit :
« Vous devriez être contents ! Vous étiez les premiers dans la famille à avoir une télé qui venait tout droit d’Amérique à Misipaki, qui a dépensé toute sa paye et son énergie pour l’acheter pour vous…et une antenne…et un transformateur. »
La famille de Malaefou était en colère contre la famille de Nouvelle-Zélande car elle leur avait envoyé quelque chose qui ne fonctionnait pas et elle répondit :
« Comment pouvions-nous savoir que vous aviez envoyé le transformateur ou l’antenne ?
Pourquoi ne les avez-vous pas envoyés en même temps ? »
« Vus êtes tellement ingrats ! »Ont-ils répondu de Nouvelle-Zélande.
« Vous êtes tellement radins! » la famille a-t-elle répondu.
Pour prouver qu’ils n’étaient pas radins et qu’ils avaient à cœur nos meilleurs intérêts, les Néo-zélandais ont envoyé cent dollars pour les enfants de ipu, pour Le Lotu A Tamaiti. Ils furent utilisés pour acheter du matériel, du taro, du kérosène, du porridge pour Tausi et les bébés, un jeu de Poker ou de Suipi.
Vingt talas furent présentés comme la donation de ‘Aiga Filiga pour le White Sunday. Une note accompagnait l’argent.
Nous allons tous bien. Nous sommes tristes de ne pas pouvoir être là pour célébrer un tel jour avec toute la famille. Nous pensons à vous et prions Dieu de vous revoir bientôt.
Le fils de Sale, Iopu, vient à Samoa pour Le Loku A Kamaiki. Il apporte des sucettes pour les enfants et des chaussures pour Moe et Sita, ainsi que la robe blanche de la vieille dame.
Alofaaga e tele mo outou,
Le Au Giusila
P.s. S’il vous plait, ne dites rien à la vieille dame sur la robe blanche. Nous pensions qu’il valait mieux vous le dire. Qui sait ?
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