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En Septembre 2003, j’ai rencontré Amina Lawal, une villageoise illettrée du nord du Nigéria qui fut rendu célèbre en 2001 lorsqu’une cour islamique Shari’a l’a condamnée à mort par lapidation pour avoir eu un enfant en dehors des liens du mariage. Au moment de notre rencontre, elle faisait appel de cette sentence et allait être dans quelques semaines assise face à la cour d’appel pour entendre la décision des juges.
J’ai d’abord rencontré Amina à la maison de son avocat, Hauwa Ibrahim.
Le jour qui suivit, elle et son avocat vinrent chez mon fiancé pour l’interview. Amina amena son bébé qui était alors âgé d’un an.
Il était difficile de parler avec Amina. Nous parlions des dialectes nigériens différents, et elle ne parlait pas anglais. Elle était allée à l’école Coranique où elle avait mémorisé quelques parties du Coran et avait appris à prier, mais elle n’avait pas eu une éducation laïque. Les questions devaient être simples ; les propositions subordonnées la déstabilisaient.
Mais dès notre première rencontre, je fus frappée par l’atmosphère de paix et de calme qui entoure Amina. Elle avait l’air gentille, discrète et docile. Pendant l’interview, elle parla de manière brève et quelquefois elle ne parlait pas, préférant laisser son avocat, qui était devenue comme une seconde mère pour elle, parler pour elle. L’interview est transcrit ci-dessous et est suivi de mes réflexions sur cette expérience.
Pouviez-vous parler de votre passé de vos origines, de votre enfance, de vos parents et de votre famille ?
[L’avocate d’Amina répond à sa place.] Amina vient d’un village appelé Kurami, dans l’état de Katsina. Son père, un fermier, est mort lorsqu’elle était jeune, et elle a grandi avec sa mère et son beau-père. Elle n’a pas eu une éducation en tant que telle mais elle est allée à l’école Coranique. Elle s’est mariée alors qu’elle avait treize ou quatorze ans. Elle a trois enfants avec son mari et a divorcé il y a quelques jours. L’aîné a douze ans.
Qu’attendez-vous de votre vie?
Je laisse ma vie à Dieu.
Quels étaient vos rêves lorsque vous étiez enfant?
Nous n’avions pas de rêves. Nous n’avons pas été élevés pour penser que nous pouvions rêver.
Depuis l’affaire Shari’a, comment votre vie a-t-elle changée?
Ma situation ne fait pas partie de celles que l’on accepte. Les gens me regardent lorsque je sors. Même avant l’incident, j’aimais rester à la maison et je ne sortais que rarement. Maintenant, avec ce qui s’est passé, je sors encore moins.
Quelles sont vos attentes maintenant ?
Il y a plusieurs types d’attentes dans la vie. Etant donné ma situation, je continue à me demander : vais-je être tuée ?
Quelles sont les choses fondamentales que vous avez apprises au travers de ces récentes expériences?
Il n’y a de place pour moi nulle part. A mon âge, je ne suis pas censée être dans la maison de mon père mais dans celle de mon mari. Lorsque je suis chez mes parents, ils en ont marre de moi après quelques jours. Ce n’est pas de leur faute, leur maison est petite. [Son avocate utilise ses mains pour montrer à quel point elle est petite.]
Quels sont vos projets après cette affaire?
Je veux juste me marier.
A qui?
Dieu me le dira.
Où vivrez-vous avec lui?
Là d’où Dieu l’amène.
Y a-t-il un homme qui ait montré un intérêt pour vous dernièrement ?
Oui. Il y a eu un homme qui a montré de l’intérêt. Ma mère a dit qu’il devait rencontré ma mère aînée [terme par lequel est désigné l’avocate]. Elle [l’avocate] l’a interviewé et s’est vite rendue compte que l’homme pensait que je recevais de l’argent de la part de personnes extérieures. Il était intéressé par l’argent.
Allez à l’école vous intéresserait-il?
Non. Je préfère me marier.
Comment votre vision de la justice, de la religion et des autres dans votre village a-t-elle changée?
Je veux juste laisser les autres à Dieu. Quiconque pense appliquer la justice, je le laisse à Dieu.
Que dirait-elle aux autres jeunes femmes ou filles de sa communauté sur ce qu’elle a appris sur la façon de vivre sa vie ?
A qui est-ce que je parlerais ? Si je parlais aux filles de mon village, elles me tourneraient le dos et m’insulteraient.
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Réflexions
Nous n’avions pas de rêves.
Nous n’avons pas été élevés pour penser que nous pouvions rêver
A dit Amina, lorsque je lui ai demandée ce qu’étaient ses rêves lorsqu’elle était enfant? Cette question semblait logique à mes yeux alors qu’elle, son avocate et moi-même étions là, dans la maison de mon fiancé. Alors je me suis demandée, ne sommes-nous pas si loin de ce que nous voulions ?
Elle fut claire sur une chose : si son appel était reçu, elle voulait se marier.
Sans faire de sondage, je pense qu’il est raisonnable de dire que se marier est le rêve le plus commun parmi les jeunes femmes de ma génération au Nigeria. Il peut difficilement en être autrement. Les parents et les amis de vos parents prient en votre présence pour que vous soyez mariée afin qu’il n’y ait pas de malentendu en ce qui concerne leurs priorités vous concernant.
Dans une autre vie, je propose des programmes d’animation pour les jeunes femmes au Nigeria. L’une des femmes qui participaient aux premiers cours, Zainab, est remarquable car elle a rejeté le mariage arrangé par sa famille. Zainab veut être médecin. Ses parents, n’ayant pas réussi à la convaincre de se marier, ont conclu les accords de mariage avec son fiancé en Arabie Saoudite et l’ont forcée à entrer au Niger, le pays au nord du Nigeria, pour ensuite continuer sa longue traversée du désert du Sahara et de la Mer Rouge pour rejoindre son mari. Zainab s’est échappée et est retournée au Nigeria où elle a trouvé KIND. Elle travaille maintenant sur ses examens d’entrée à l’université, toujours dans l’idée de devenir médecin.
La tante de Zainab vient d’avoir un bébé il y a une semaine. Elle a accouchée toute seule. Nous ne savons pas trop si c’est une pratique courante pour son peuple ou si le bébé est arrivé trop rapidement pour que sa famille puisse l’emmener à temps à l’hôpital. En tout cas, la petite fille est sortie les pieds en avant. Ce fut un accouchement difficile. Le bébé est décédé. J’ai hâte au jour où Zainab tiendra des séminaires pour les femmes de sa communauté afin qu’elles puissent prendre soin d’elles-mêmes et de leurs bébés.
Dans le travail que je fais, j’ai réalisé que de nombreuses femmes ont encore besoin d’une permission pour être là, pour faire des choix différents et pour demeurer acceptée par leur communauté. Lorsqu’Amina a dit que l’on ne nous disait pas que l’on pouvait rêver, elle parlait de son cas, une pauvre villageoise illettrée. Et elle parlait pour tant d’autres femmes qui sont éduquées, qui paraissent épanouie mais qui expriment pourtant les pensées d’un autre par leur voix et qui voient ce que d’autres veulent qu’elles voient.
Enfin, lorsque nous nous imaginons, imaginons nous « autorisées ».
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